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Lundi 15 novembre 2021 - 18 h 00
- Cinéma Jean Eustache
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En présence deSylvain Venayre
Où va le XIXe siècle ?

Où va le XIXe siècle ?
Conférence inaugurale
60 min.
Le XIXe siècle et la vapeur : vieille histoire. Depuis bientôt deux cents ans, le XIXe siècle est identifié à ce qui fut tout à la fois le moyen et le symbole de la révolution industrielle : la machine à vapeur. Si l’on devait résumer le XIXe siècle à l’aide d’une image, ce serait probablement une de ces machines, sans doute la locomotive – celle-là même que Flaubert imaginait conduite par un Christ au coeur d’une for.t vierge afin de figurer, dans L’Éducation sentimentale (1869), la révolution de 1848. On songe à Karl Marx, pour qui les révolutions (ce grand mot du XIXe siècle) étaient les "locomotives" de l’histoire. La vapeur a enveloppé le XIXe siècle, crachée par les locomotives, les navires, les usines. Elle signifiait l’industrie, le progrès, la communication, la vitesse. Elle actionnait les presses et les rotatives, imposant de nouvelles formes de l’écrit : à propos des romans-feuilletons, qui envahissaient l’espace rédactionnel des journaux, n’a-t-on pas parlé de "littérature à la vapeur" ? La vapeur a command. jusqu’aux représentations de la fin du monde : dans Cinq semaines en ballon (1863), un des personnages de Jules Verne affirmait que le dernier jour de l’humanité serait "celui où quelque immense chaudière chauffée à 3 milliards d’atmosphères fera sauter notre globe". La vapeur représentait la modernité, pour le meilleur et pour le pire. Ce n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui que le XIXe siècle semble relégué dans un pass. chaque jour plus lointain. Jules Verne – que l’on ne lit plus guère – est moins considéré comme le grand célébrant de la modernité, que comme l’ancêtre un peu dépassé du steampunk, ce courant rétrofuturiste qui, depuis la fin des années 1980, imagine ce qu’aurait été le monde s’il en était resté à la première révolution industrielle. Plutôt que de locomotives, on y rêve de ces grands projets sans lendemain que furent, au XIXe siècle, les automobiles ou les ballons dirigeables, tous deux à vapeur évidemment.
Expérimentations politiques
À bien des égards, cependant, le XIXe siècle n’a jamais été aussi proche de nous. La fin du XXe siècle – quelque part entre 1989 et 2001 – en a bouleversé nos représentations. Non seulement le XIXe a cessé d’être le "siècle dernier", mais l’éloignement des guerres mondiales et de l’affrontement des deux "blocs", la fin de l’hégémonie occidentale et l’avènement des puissances asiatiques, les angoisses liées au changement climatique d’origine anthropique ont conduit à formuler différemment les prévisions de Jules Verne quant à l’avenir de l’humanité. Le XIXe siècle est désormais considéré comme l’époque foisonnante d’expérimentations politiques qu’on avait oubliées au seul bénéfice de celles qui avaient triomphé : cependant que le communisme d’État était condamné, on a réévalué d’autres formes d’émancipation – anarchisme, mouvement coopératif, féminisme – longtemps perçues comme "utopiques". Le XIXe siècle est aussi devenu ce moment, finalement bref à l’échelle du monde, qui, en inaugurant la domination occidentale, avait insolemment fait de celle-ci la clé de lecture de l’histoire de l’humanité. On a redécouvert qu’il avait été le temps d’un monde multipolaire, plus semblable au nôtre qu’on pourrait le penser – un monde où l’essentiel des migrations, déjà, ne concernait pas l’Occident et où la plupart des guerres avaient ces contours asymétriques sur lesquels les stratèges réfléchissent tant aujourd’hui. Il fut enfin – et peut-être surtout – le point de départ de ce nouvel âge de la Terre qu’on nomme "anthropocène", car, derrière l’inoffensive vapeur, il y avait alors bien d’autres produits crachés dans l’atmosphère et enfouis dans le sous-sol. Pour le dire d’un mot : le XIXe siècle a cessé d’être regardé avec les yeux du XXe. Ainsi nous semble-t-il différent. Le débat sur le "déboulonnage" des statues en témoigne à sa manière, car n’oublions pas que, depuis celle de Colbert à Paris jusqu’à celle de Colomb à Mexico, ces statues aujourd’hui problématiques datent du XIXe siècle (1822 et 1877, en l’occurrence). On a longtemps dit que le XIXe siècle était le "siècle de l’histoire", en s’enorgueillissant un peu naïvement du temps où les historiens étaient au pouvoir (ah ! Guizot ! Duruy ! Thiers ! Martin !). On devrait plutôt dire qu’il était le siècle d’une certaine histoire, volontairement oublieuse d’une grande partie du monde, réifiant plusieurs catégories : la race, le sexe, la civilisation, l’Occident, l’Europe, dont le travail de déconstruction est toujours en cours. Et, dans ce travail, prenons en compte les non-humains, car de quels progrès parle-t-on lorsqu’on évoque, par exemple, le XIXe siècle des bisons d’Amérique, abattus depuis les fenêtres des trains à vapeur ? Le XIXe siècle a changé sous nos yeux, en l’espace d’une g.n.ration. Les recherches historiques l’expriment tout autant que les oeuvres de fiction. Rendez-vous donc à Pessac pour savoir vers o. il nous emporte désormais, toujours à toute vapeur.
Avec

Sylvain Venayre
Né le 7 février 1970 à Châlons-sur-Marne, Sylvain Venayre a fait des études d’histoire qui l’ont conduit à l’agrégation puis, sous la direction d’Alain Corbin, au doctorat – et enfin à l’habilitation à diriger des recherches. Parallèlement à cela, il a travaillé avec de nombreux artistes dans le domaine de la bande dessinée (Etienne Davodeau, Jean-Philippe Stassen, Isaac Wens, Frédéric Bihel) ou du roman (Thomas B. Reverdy). Il est actuellement Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Grenoble-Alpes.
Spécialiste du voyage et de ses représentations au XIXe siècle, il est également l’auteur de livres sur l’historiographie et la poétique de l’écriture historique. Il a récemment dirigé avec Pierre Singaravélou l’Histoire du monde au XIXe siècle (Fayard, 2017) etLe Magasin du monde. La mondialisation par les objets du XVIIIe siècle à nos jours (Fayard, 2020). Il a par ailleurs scénarisé plusieurs bandes dessinées qui relisent les classiques de la littérature d’aventure du XIXe siècle. Il est enfin le directeur de l’Histoire dessinée de la France (dix volumes parus), dont il a scénarisé le premier tome, La Balade nationale (La Découverte/La Revue dessinée, 2017), avec le dessinateur Etienne Davodeau.
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