La toute-puissance de l'Occident ?

La toute-puissance de l'Occident ?

Débat de l'Histoire et l'APHG

60 min.

« Pourquoi l'Europe a conquis le monde »

© Jean-Pierre Chrétien, L’Histoire n° 302 (octobre 2005)

 

 

 

Dans la seconde moitié du XIXe siècle apparaît un terme nouveau : l'impérialisme, c'est-à-dire le système de domination économique et politique qui accompagne l'expansion outre-mer des puissances industrielles occidentales. On considère alors que l'époque des colonies est révolue. L'indépendance de l'Amérique latine et celle des États-Unis sont passées par là. Vouloir régner sur des territoires lointains apparaît obsolète. Ce qu'il faut encourager, c'est l'expansion économique, maritime, commerciale. De plus, la traite est bannie depuis le congrès de Vienne en 1815, et l'esclavage aboli progressivement, en Angleterre en 1834, en France définitivement en 1848 ; aux États-Unis en 1865.

Or, paradoxalement, ces mêmes sociétés se lancent alors dans la construction de grands empires coloniaux. On voit des défenseurs de la liberté, de l'émancipation, du progrès, des droits de l'homme, justifier, au nom même de ces valeurs, des interventions politico-militaires dans ce qui va devenir des colonies. Les théories sur l’inégalité des peuples constituent un vrai tournant. Auparavant, chez les théoriciens de l'émancipation, dominait l’idée qu'un esclave affranchi était potentiellement un égal. Cette conception universaliste n'a pas disparu à la fin du XIXe siècle mais elle est battue en brèche par les discours « scientifiques » sur la classification et l'inégalité des races. Même si l'on ne renie pas l'objectif civilisateur, on juge que ces populations sont comme des enfants et que l'évolution de l'Afrique et de l'Asie se fera, très lentement, grâce à l’influence occidentale. Le décalage technologique, économique, militaire et de capacité de puissance est énorme. Un immense fossé sépare la civilisation industrielle des civilisations restées rurales et artisanales.

La colonisation entraîne des transformations, dont certaines bien connues : la fondation d'hôpitaux, la construction de chemins de fer, de ports maritimes, l'introduction du camion, la création de nouvelles villes comme Dakar ou Nairobi. Ces innovations intéressaient les colonisateurs pour le commerce et leur propre santé et constituaient une façon de légitimer la colonisation.

Ce qu'on observe concrètement, c'est aussi le bouleversement lié à l'introduction de nouvelles activités économiques. En Afrique tropicale, l'agriculture vivrière paysanne est marginalisée par des plantations de café, de thé, de coton, de palmiers à huile. En Asie, le thé de l'Inde ou l'hévéa d'Indochine illustrent le même phénomène. Des mines sont ouvertes, notamment en Afrique du Sud de diamant et d’or, en Rhodésie la « ceinture de cuivre » et au Congo avec l'Union minière du Haut-Katanga. Pour tout cela, il faut de la main-d'œuvre. Les Européens vont donc recruter massivement, selon un système de travail forcé. Tous ces gens sont arrachés aux travaux des champs et coupés du rythme des saisons et de la gestion habituelle des villages. Des activités artisanales disparaissent, tel le travail des forgerons ruinés par les importations bon marché d'outils agricoles. Plus grave, le discours général est que les paysans ne savent pas cultiver, alors qu’ils ont, au cours des siècles, mis au point des systèmes performants et prouvé leur capacité d'adaptation : les plantes d'origine américaine, le maïs, la patate douce, le manioc, se sont diffusées en Afrique sans aucun encadrement technique.

Toute une partie de la société est happée par le système colonial. Il y a une acculturation aux franges, plus ou moins importante, et en même temps une distance que les colonisateurs gardent à l'égard de cette nouvelle élite. La ségrégation, même non officielle, se manifeste dans les villes entre le centre européen où vivent les citoyens britanniques, français, allemands, etc., et les quartiers des indigènes, les deux zones séparées par un no man's land au nom de la sécurité et de l'hygiène. Souvent d'ailleurs l'hôpital pour indigènes est dans ce no man's land, où les médecins et les malades vont se rencontrer. Les indigènes relèvent d'une justice gérée par l'administration coloniale, ou par leur chef coutumier, sous contrôle du colonisateur. Dans les empires belge et allemand, des peines corporelles comme la « chicotte* » – le fouet en lanières de peau d'hippopotame – ont été infligées durablement.

Au fond, il y a une adéquation entre le statut juridique, les fonctions économiques et la race. Ces sociétés dirigistes sur le plan économique sont sur le plan social fortement hiérarchiques : chacun doit être à sa place.

Avec

pierre singaravélou

Pierre Singaravélou

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France et directeur des Editions de la Sorbonne. Il a récemment coécrit avec Q. Deluermoz Pour une histoire des possibles (Seuil, 2016), coordonné L’Histoire mondiale de la France sous la direction de P. Boucheron (Seuil, 2017), publié Tianjin Cosmopolis. Une autre histoire de la mondialisation (Seuil, 2017) et co-dirigé avec S. Venayre l’Histoire du monde au XIXe siècle (Fayard, 2017).

 

Crédit photo : Emmanuel Marchadour

 

eddy dufourmont

Eddy Dufourmont

Eddy Dufourmont a effectué des études d'histoire à l'Université de Strasbourg II, de japonais à l'Inalco, ainsi qu'à l'Université de Tôkyô. Actuellement maître de conférences HDR à l'Université Bordeaux Montaigne, ses recherches portent sur l'histoire intellectuelle du Japon moderne et contemporain. Il est l'auteur, entre autres, de Rousseau au Japon. Nakae Chômin et le républicanisme français (1874-1890) et Histoire politique du Japon, de 1853 à nos jours, aux Presses Universitaires de Bordeaux.

Thomas Verclytte

Thomas Verclytte

Éric Bonhomme

Éric Bonhomme

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