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Mardi 16 novembre 2021 - 20 h 50
- Cinéma Jean Eustache
Lacenaire

Le destin de Pierre-François Lacenaire, séducteur, révolutionnaire et assassin. En 1836, peu avant son exécution, Lacenaire reçoit dans sa cellule de nombreuses visites au cours desquelles il évoque son passé…
« Déjà que je ne m’appartiens plus, qu’est ce que ça va être après ma mort ? »
Un assassin dans sa cellule.À quatre mois d’écart, le rapprochement sur les écrans français entre Pierre-François Lacenaire, exécuté en 1836 et Hannibal Lecter, le serial killerdu Silence des agneaux, se fait de lui-même. En raison, notamment, d’un motif visuel commun aux deux films, celui de Francis Girod et celui de Jonathan Demme. Ces deux tueurs, chacun à leur manière, sont des histrions et les metteurs en scène de leur propre parcours. Mais Lacenaire, lui, n’est pas fictif. Il est entré de plein pied dans l’Histoire et survient à une époque particulière, l’une des plus complexes et les plus sombres de l’histoire de France.
Cette époque, c’est la Monarchie de juillet, qui a installé durablement Louis-Philippe sur le trône. Comme le rappelle Jean Tulard[1], les années 1830 se caractérisent par l’épidémie de choléra qui frappe durement la France, à commencer par le Nord, puis Paris, de mars à octobre 1832[2]. L’époque se définit aussi par un libéralisme sauvage caractérisé par le travail des enfants et la déplorable condition des ouvriers, soumis à un travail harassant et mal rémunéré[3]et parqués dans des logements affreusement insalubres. Enfin, c’est l’époque où fleurit le crime sous toutes ses formes, des attentats politiques aux bandes de pillards écumant les rues – et son corollaire : une police aux méthodes de plus en plus sophistiquées, mais parfois difficile à distinguer des individus qu’elle pourchasse.
Pourtant, dans ce sinistre contexte , les crimes de Lacenaire vont se distinguer d’eux-mêmes, à commencer par le meurtre de sang froid de Jean-François Chardon et de sa mère le 14 décembre 1834 : le premier est achevé à coup de hache, la seconde étouffée dans son lit. Lacenaire monte des escroqueries et des larcins (rarement couronnés de succès), se met à la tête d’une petite équipe de malfrats avec lesquels il alterne les séjours en prison, écrit par ailleurs de nombreux poèmes. Ses crimes finissent par le rattraper et il passe en jugement en 1835 avec deux de ses comparses. Son procès, au cours duquel il relègue son avocat à un rôle subalterne, est pour lui l’occasion de prendre la lumière et de laisser éclater à la face du monde des talents oratoires qui le distinguent définitivement des criminels de son temps. Il y affirme son dégoût de la société, assume volontiers ses crimes et revendique la mort pour lui et ses complices. Attendant la mort depuis sa cellule, transformée en salon raffiné où il reçoit chaque jour de nombreuses visites, traité comme un hôte de choix par le directeur lui-même et par Allard[4], le chef de la Sûreté avec lequel il poursuit une complexe relation fondée sur l’estime mutuelle, Lacenaire rédige des Mémoiresattendues par le tout-Paris. Elles rencontrent à leur publication (survenue après sa mort) un énorme succès.
Sujet de prédilection.Francis Girod s’est passionné pour la figure de Lacenaire après avoir lu ses Mémoireslorsqu’il avait vingt ans[5]. Au début de sa carrière, après Le Trio infernal(1974), il envisage déjà de consacrer un film au personnage, mais le thème par trop voisin l’en dissuade provisoirement. Il y revient quinze ans plus tard et y voit l’occasion de retravailler avec Daniel Auteuil, qu’il avait fait tourner dans La Banquière. C’est d’ailleurs le trio de La Banquière(Girod à la mise en scène, Georges Conchon au scénario et Ariel Zeitoun à la production) qui se reforme pour Lacenaire, film au budget conséquent et au casting très relevé. Pourtant, Francis Girod souhaite dès le début bousculer les conventions du film d’époque : « Ce qui m’intéressait, c’était la vérité du personnage, sa dimension de subversion. Donc il fallait aussi que le film soit dérangeant dans sa forme, sinon la subversion eût été complètement noyée dans le paquet cadeau. » Ils conçoivent avec Georges Conchon, dont c’est l’ultime scénario[6], un récit non linéaire, très sophistiqué, qui malmène la temporalité par de nombreux flashes-back. Lacenaire y raconte son histoire, pour ainsi dire, par-delà la tombe. Le portrait qui en émerge est à la fois celui d’un « monstre séduisant » (et pour qui la séduction était une arme et un recours instinctif), dont la représentation dialogue avec celle des Enfants du paradis, et d’une société violente, apte à stimuler le nihilisme dévastateur que le dandy assassin lui jettera au visage.
[1] Dans une interview donnée pour les suppléments du DVD de Lacenaire, Studio Canal Vidéo, 2005.
[2] Patrick Richet, « Années 1830 : peut bleues et colère noire », Ciné-dossier consacré au Hussard sur le toit,Festival international du film d’histoire, Pessac, 2020, p. 72.
[3] L’heure de travail était mieux rémunérée sous Napoléon 1er.
[4] Successeur du fameux Vidocq, autre fascinante figure de la période.
[5] Interview donnée pour les suppléments du DVD de Lacenaire, op. cit.
[6] Il meurt le dernier jour du tournage de Lacenaire, laissant par ailleurs un roman – sur lequel il travaillait lorsque Francis Girod est venu le solliciter – inachevé.
Fiche du film
Réalisateurs(trices)
Francis Girod
Année
1990
Durée
125 minutes
Date Sortie française
Mercredi 19 décembre 1990
Auteur(s) / Scénario
Georges Conchon, Francis Girod
Format de diffusion
35 mm
Détails
Interprètes
Daniel Auteuil (Pierre-François Lacenaire), Jean Poiret (Allard), Jacques Weber (Jacques Arago), François Périer (le père de Lacenaire), Jean Davy (Alphonse Damoiseau)…
D'après
D'après Mémoires de Lacenaire
Direction photographie
Bruno de Keyzer
Montage
Geneviève Winding
Couleur
Couleur
Production
Partner's Production, UGC, Ciné 5, Hachette Première
Distributeur
Tamasa
Musique
Laurent Petitgirard
Son
André Hervé
Costumes
Yvonne Sassinot de Nesle
Décors
Jacques Bufnoir
Producteur(trice)
Ariel Zeitoun
Pays
France